Une avancée scientifique majeure
Forte de 10 ans d’expérience sur la maîtrise de la reproduction d’espèces vulnérables, l’équipe de chercheurs et d’ingénieurs de l’Université de Corse et du CNRS a réalisé la prouesse scientifique et technique de maîtriser la reproduction de la langouste rouge. *
Après l’huître plate, le homard européen, l’oursin violet, le denti et le corb, c’est vers la maîtrise de la reproduction de la langouste rouge que se sont concentrés les efforts de la plateforme Stella Mare (Università di Corsica/CNRS).
La première expérimentation larvaire de langouste rouge, tout juste démarrée en ce début d’année 2021, a été couronnée de succès en moins de 3 mois :
- six juvéniles de langouste ont été obtenus (83 jours après l’éclosion des œufs)
- un taux de survie encourageant de 50 % a été observé au dernier stade larvaire (43 jours après l’éclosion)
Il est nécessaire de lever plusieurs verrous technologiques sur l’élevage de cette espèce afin d’en maîtriser la reproduction. La complexité est due au nombre et à la fragilité des stades larvaires, à la longueur de l’élevage, à l’alimentation et aux contraintes sanitaires du processus.
Il s’agit d’une avancée scientifique majeure, ayant un impact écologique, économique et patrimonial pour la Corse et au-delà.
La langouste rouge (Palinurus elephas) est observée dans l’océan Atlantique Nord-Est (de la Norvège à la Mauritanie) mais surtout en mer Méditerranée. Dans sa répartition méridionale, elle est observée en Afrique du Nord jusqu’au Maroc, aux Iles Canaries et aux Açores. Classée en tant qu’espèce vulnérable, elle figure dans la liste rouge des espèces menacées de l’Union internationale pour la conservation de la nature (IUCN). La langouste rouge est par ailleurs inscrite dans les annexes III de la convention de Barcelone (liste des espèces dont l’exploitation est réglementée) et de la convention de Berne (espèces de faune protégées).
Son prix de vente élevé (50 à 100 €/kg) résulte d’une relative rareté confirmée par le déclin continu des captures recensées dans les différentes pêcheries de l’Union européenne (de 1100 tonnes en 1969 à 434 tonnes en 2017). En France, sur la façade Atlantique, la pêche est passée de 1000 tonnes/an dans les années 1950 à 25 tonnes/an en 2010* ; en Écosse, de 271 tonnes en 1959 à 20 tonnes en 2010 ; au Portugal, de 400 tonnes/an en 1990-1992 à 12 tonnes en 2006-2007. Sur le plan écologique, un cercle vicieux s’est clairement instauré. La raréfaction de la ressource a eu comme conséquence l’augmentation de l’effort de pêche (filets plus longs, embarcations plus nombreuses, pêche plus profonde…), ce qui s’est répercuté sur l’ensemble de la biodiversité avec l’augmentation des prises accessoires et de l’impact sur les fonds marins.
Un constat alarmant a été dressé en Corse et en Sardaigne, deux des plus grosses pêcheries de langoustes d’Europe, où l’on a pu assister à un net déclin des captures entre 1954 et 2008. En Corse, alors que 300 tonnes de langoustes étaient pêchées dans les années 50**, seules 61 tonnes en moyenne le furent ces deux dernières années. Dans le Nord de la Sardaigne les captures ont diminué de 70 % entre 1976 et 2001.
Il est important de rappeler que pour le secteur de la pêche en Corse la langouste génère un chiffre d’affaire annuel de plus de 4 millions d’euros. Elle représente à elle seule jusqu’à 70 % des revenus de la pêche professionnelle insulaire.
Au regard des fortes retombées économiques générées, une réelle attente en matière de maîtrise de la reproduction de la langouste émane de la part des professionnels de la mer. Cette avancée scientifique pourrait ainsi assurer le maintien de la pêche artisanale en Corse voire contribuer à son développement, tout en perpétuant une activité patrimoniale multiséculaire.
Cette avancée ouvre aujourd’hui la voie à des méthodes de compensation de l’activité de pêche afin de préserver la présence de la langouste sur son aire de répartition. Un transfert d’individus pourrait de plus être envisagé à l’échelle européenne pour la restauration des populations dégradées (avec les précautions génétiques de rigueur). Les enjeux en matière de préservation de la biodiversité sont au cœur de la réflexion qui a fortement mobilisé les scientifiques de l’Université de Corse et du CNRS.
Sur le plan économique, la maîtrise de la reproduction de la langouste pourrait aider à endiguer le déclin des captures en Europe dû à la surpêche. Le laboratoire Stella Mare étudie également les possibilités de valorisation industrielle de la carapace des crustacés via les biotechnologies (production de chitosane par exemple, un biopolymère aux vertus médicales multiples).
Cette réussite exceptionnelle matérialise à nouveau la volonté de la plateforme de transformer la recherche en richesses : favoriser une pêche éco-responsable et une aquaculture durable, valoriser et diversifier les productions issues des différentes espèces marines, gérer les ressources naturelles en vue d’une exploitation raisonnée.
L’obtention de juvéniles de langouste atteste de la qualité scientifique des recherches menées au sein de Stella Mare en collaboration étroite avec les pêcheurs et aquaculteurs corses. L’ambition fixée dès l’origine de la plateforme se concrétise à nouveau : assurer des recherches permettant d’induire des innovations d’excellence en prise avec les grands défis sociétaux pour une gestion durable des ressources naturelles.
* Goñi, R. 2014. Palinurus elephas. The IUCN Red List of Threatened Species 2014: e.T169975A1281221. http://dx.doi.org/10.2305/IUCN.UK.2014-1.RLTS.T169975A1281221.en
** Groeneveld, J.C., Goñi, R., Diaz, D. 2013. Palinurus Species. In: Phillips, B.F. (ed.), Lobsters: Biology, Management, Aquaculture and Fisheries, pp. 326-356. John Wiley and Sons, Oxford.