Depuis les années 1990, l’Université de Corse a mis en œuvre un projet de recherche centré sur la modélisation et l’expérimentation autour des incendies. Objectif : développer des outils numériques de simulation et d’anticipation pour aider les professionnels à mieux lutter contre ces phénomènes avec des moyens optimisés.
Un chiffre suffirait à illustrer à lui seul la problématique : 21 699 hectares ont été dévastés par les flammes en Corse ces 10 dernières années. Un phénomène qui semble enraciné dans l’île, au point que celle-ci figure régulièrement parmi les régions de France les plus touchées par les incendies. Face à ce constat peu réjouissant, l’Université de Corse, sous l’impulsion du Professeur Jacques-Henri Balbi, a mis sur pied depuis le début des années 1990 des réponses scientifiques à travers un projet de recherche visant à mieux lutter contre cette problématique.
En collaboration étroite avec les acteurs de la lutte dans l’île, notamment l’Office national des forêts (ONF), les forestiers sapeurs de la Collectivité de Corse, le Parc naturel régional de Corse (PNRC), l’office de l’environnement de la Corse (OEC) et les deux services d’incendies et de secours (SIS) de l’île, une équipe de 16 chercheurs et techniciens de l’Université de Corse et du CNRS (Laboratoire Sciences pour l’Environnement) est engagée dans un département scientifique dédié à ce domaine. Objectif : « mieux comprendre les phénomènes intervenant au cours d’un incendie pour pouvoir les prédire et les modéliser, en vue de transférer la connaissance universitaire et de développer des outils de lutte et d’aménagement du territoire pour les professionnels », explique Lucile Rossi, maître de conférences à l’Université de Corse et responsable scientifique du projet « Feux » depuis 2017.
À ce stade, plusieurs travaux de recherche ont été engagés autour de la modélisation pour développer des outils de simulation et d’anticipation afin d’analyser en temps réel l’évolution d’un incendie et, entre autres, l’énergie déployée par le feu en fonction notamment de sa position et des conditions météorologiques. « Notre équipe travaille pour mettre des données en équation et comprendre les phénomènes de propagation », précise Lucile Rossi. À ce titre, plusieurs programmes, arrivés aujourd’hui à maturité, ont été mis en œuvre autour des zones d’appui à la lutte (ZAL) dépourvues de végétation, la toxicité des fumées, l’impact des brûlages dirigés sur les sols et la propagation des feux. À la clé : la création d’outils numériques d’aide à la décision, sous la forme de prototypes, pour donner des informations aux acteurs de la lutte contre les incendies.
Parmi eux, le programme DIMZAL permet notamment d’anticiper l’avancement du feu et d’évaluer les distances de sécurité sur le terrain pour les sapeurs-pompiers, en dimensionnant des ouvrages pour la protection des opérationnels en phase de lutte. En parallèle, les chercheurs de l’Université de Corse et du CNRS ont développé un logiciel à destination des professionnels. Baptisé « Fore fire », il permet de faire des simulations pour évaluer la propagation d’un feu et son dynamisme en prenant en compte plusieurs facteurs, comme le vent, et en le positionnant sur Google Earth. D’ailleurs, ceux qui en ont besoin au quotidien comptent beaucoup sur ces nouvelles technologies afin de les guider dans leurs prises de décisions et de mieux gérer les situations de crise en temps réel. « Ces expertises nous permettent d’anticiper la dynamique du feu, d’identifier les parties les plus sensibles et de mieux organiser notre action en s’appuyant sur les données et les informations qui sont portées à notre connaissance, fait savoir Philippe Caramelle, directeur-adjoint de l’ONF pour la région Corse. S’agissant, par exemple, des zones d’appui à la lutte, ces outils nous aident à prévoir les infrastructures adaptées pour les interventions afin d’être plus efficaces ».
Afin d’améliorer encore les conditions d’intervention des acteurs de la lutte contre le feu, l’Université de Corse et le CNRS comptent bien aller plus loin. Actuellement, deux nouveaux programmes de recherche stratégiques sont en cours de validation. Le premier, intitulé « Goliat », pour « Groupement d’Outils pour la Lutte Incendie et l’Aménagement du Territoire », devrait associer l’Université de Corse / CNRS, le PNRC, les deux SIS de l’île, l’ONF, Aix-Marseille Université et une entreprise qui sera sélectionnée, en vue de développer de nouveaux outils d’aide à la décision. Quant au second, il s’inscrit dans un programme européen de coopération autour des feux de forêt visant à étudier les vulnérabilités des habitations devant les incendies pour mieux organiser leur protection. Un vaste chantier à mettre sur pied, avec la même nécessité de mieux connaître pour pouvoir lutter.